Triggers warning : néglicence conjugale, transphobie, sexisme, contrôle excessif

”Moi j’suis qu’un homme ordinaire, je dis bonjour aux voisins d’à côté, je demande des nouvelles du petit dernier, c’est la moindre des choses vous savez…”

Observant l’écran face à lui, un sourire affiché sur son visage charmeur.  Il était ravi de l’endroit où il se trouvait à présent. Bien sûr, sa vie avait été loin d’être parfaite, mais n’était-ce pas là le lot de chaque humain ? Validant le projet qui lui faisait face, il hocha sa tête avec satisfaction.
Dehors, dans Detroit, se cachaient ou s’exposaient des êtres inattendus. Androïds avec une conscience. Une légende auquel l'homme ne croyait pas tout à fait. A ses yeux, un robot ne pouvait qu’avoir une simulation de conscience. Mais, il savait que bientôt, il pourrait s’y intéresser de plus près, et rassurer la population, tout en satisfaisant sa curiosité.
Son entreprise n’attendait que ça de lui. Et Abraham estimait sincèrement que c’était le mieux à faire.

En attendant, il regarda l’heure. Son ex-femme devait l’appeler pour leur parler de leur fille, celle qui se rebellait ces derniers temps. La pauvre, fruit de sa génération, dévorée par les différents canaux de discussion en ligne, elle se pensait éprise d’une mission plus importante que jamais : prouver au monde que les déviants avaient droit d’égalité. Peut-être oui ? Après tout, l'idée d'androids libres, était fascinant. Et ça ne serais pas la première rébellion pour l'égalité qui surviendrais dans le monde. Mais la science était clair sur ce fait : seuls les humains avaient une conscience.
La science, ou la religion déguisée en science ? Abraham n'aurait su dire, mais la télévision en parlait bien. Et il faisait confiance aux journalistes, la plupart du temps.
Abraham n’était pas très inquiet pour son enfant, comparé à son ex. Il savait que leur fille poursuivais simplement sa crise d’adolescence. Des études le prouvaient : la crise d’adolescence pouvait se continuer jusqu’à au moins vingt ans, et elle n’avait que dix huit ans. Il lui expliquerais ce fait tranquillement, comme il savait si bien le faire.

Se redressant dans son siège, l'homme souris a un collègue et se leva pour aller boire le café avec lui. Discuter de ce qu’ils allaient faire le soir-même. Un ami l'avait invité à sortir un peu et Abraham savait qu’il n’allait pas dire non. Pas qu’il adorait faire la fête constamment, mais n’était ce pas agréable de faire quelques soirées en bonne compagnie ? Et puis, Matthew devait entre autre parler de sa dernière voiture. Celle qui non seulement se conduisait automatiquement mais en prime devinait où voulait se rendre son passager. Abraham s’y était intéressé, alors entendre quelqu'un un ami en parler, l'informerait d'autant plus.
Le café était maussade, et lui et son collègue râlèrent un peu à ce propos. Ils appréciaient travailler pour CyberLife : entre le plan de carrière, la paie, ce que cela apportait au monde… Mais bon sang, que leur café était mauvais !

Le soir, quand il sortit de l’entreprise, Abraham observa à nouveau son téléphone. Né dans la génération accro à la technologie, il devait bien admettre qu’il lui était impossible de s’en passer. Il avait passé son enfance devant un ordinateur, puis ses études à tout taper sur son clavier pour ne rien perdre, voire à utiliser les enregistreurs vocaux.
Ses parents avaient toujours vu en lui un garçon intelligent et promu à un bel avenir. Abraham, malgré quelques tensions, n’avait jamais chercher à aspirer à autre chose. Désireux de contribuer à l’avenir, et à l’apothéose des intelligences artificielles, il s’était tout naturellement tourné vers un diplôme d’ingénierie robotique. La concurrence était rude, mais Abraham su se démarquer. Oui, bien sûr, il avait mal parlé de certains de ses camarades, devant eux, dans leur dos, leur sapant le moral, les faisant décrocher…Mais que pensaient-ils ? Dans les études de ce genre, c’était manger ou être mangé. Ce n'était pas quelque chose dont il fallait être fier, mais quelque chose plutôt d'essentiel pour s'en sortir.
Bien qu'Abraham était fier d'être là où il était aujourd'hui.

En plein diplôme, il eut un enfant avec une femme sympathique rencontré un soir de fête. Obligé de se mettre en couple pour éviter que les rumeurs gonflent, Abraham entendit autour de lui tout un tas de remarques positives : après tout, il prenait ses responsabilités, et acceptais de prendre femme et enfant malgré son avenir brillant, au risque de le gâcher. On ne complimenta pas la jeune femme. Elle dépendait de lui, puisqu'elle décrocherait sûrement pour le laisser devenir celui qui apporterait la prospérité dans le couple. Qui n'en rêverais pas ? Abraham fit tout de même taire ceux qui disaient qu'elle devait faire ça : il respectait celle qui deviendrais bientôt son épouse. Et il la soutint même quand elle lui avoua vouloir changer d'études pour être en effet plus tranquille pour l'enfant.
Abraham décrocha donc son diplôme malgré les nuits compliquées. Et puis, sa compagne, bientôt, sa femme, était tout ce qu’il aurait pu demander : lumineuse, agréable, et sachant mitonner des petits plats à s'en lécher les babines.

D'ailleurs, comment aurait il pu dire non à tout ce qu’elle faisait pour lui ? Quand elle était là lors de journées difficiles, où il avait dû se battre pour montrer son talent, cherchant à atteindre son rêve final : rejoindre le siège social de CyberLife. Elle, faisait la nourriture, conversait avec lui, parlait mariage, enfants, et puis, quand il en avait besoin, elle s'occupait aussi de tout le reste.

Quand l'homme devint ingénieur, il lui proposa même de cesser d'être institutrice, pour s'occuper de la maison et être tranquille. Mais elle refusa.
Abraham ne compris jamais pourquoi. Elle cesserait de travailler à s’en fatiguer, et pourrait se contenter de rester à la maison à bien se détendre, non ? Et puis, elle se plaindrais moins d’être fatiguée, le soir quand enfin, elle venait se coucher après l’histoire de la petite. Abraham n’était pas bon avec les histoires, mais il savait au moins changer une couche.

Ils s’aimaient quand même. Sauf quand elle donnait son avis sur le travail d’Abraham. Ou quand elle cherchait à l’aider lors d’un problème mathématiques. Ou quand Abraham s’assurait que tout était parfait dans sa petite vie familiale. Quand il choisissait tous les endroits où ils mangeraient, se baladeraient, feraient leurs courses. Mais il savait ce qu’il voulait, n’était-ce pas naturel que ce fut lui qui prenne ce genre de décision ?

Ce fut au point où il décida du déménagement au bout de douze ans de vie commune. Difficile d’y renoncer, et même sa femme en était ravie : son mari avait obtenu ce qu’il voulait, cette promotion magistrale, ce poste proche du Graal. Ingénieur au siège social de CyberLife. Normal : les androïds allaient apparaître, un modèle définitif, final, qui ne pouvait que révolutionner le monde.

La petite famille Mason débarqua à Detroit en 2039. Et si au départ tout se passait bien, ils découvrirent aussi que la ville n’était pas la plus parfaite au monde. On était loin des beaux quartiers de Londres. On était là sur une ville qui longtemps, s’était vidée, ne laissant que des fantômes de bâtiments, et des crimes dans les rues vides.
La télévision le disait bien : attention au grand méchant monde, à tel ou tel quartier où survivent quelques membres de population peu approchables.
Et pourtant, la famille s’y adapta. Leur fille rentra au collège américain et s’y plu. Mais ne fit que choquer son père : voilà qu’elle ramenait “Tony”, qui n’avait rien d’un Tony, mais plus d’une Tonia, avec sa voix aigu, ses sourcils fins, et sa puberté bien présente. Mais non, la petite s’évertuait à affirmer que “Tony était son meilleur ami”.
Abraham se dit que ce n’était rien. Un jour, Tonia (ou quelque soit son vrai nom) comprendrait qu’elle se trompait, que c’était juste une histoire d’hormone. Il en était certain. Preuve en est qu’il l’expliqua bien à sa fille “Si un jour tu penses être un garçon, tu me le dis, on ira voir un médecin, et tu comprendras que tu es juste perdue”.

Abraham aurait dû devenir professeur : il était si bon pédagogue. Quand il voyait quelqu’un galérer, il se devait bien de lui expliquer comment fonctionnait les choses non ? Même ses collègues le disaient.
Et puis, à côté, il participait aux activités scolaires, toujours là pour sa fille, avec sa femme. Mais attention : sa fille devait avoir des bonnes notes, parce que sinon, comment pourrait-elle avancer dans la vie ? C’est vrai qu’il aurait préféré avoir un fils pour lui apprendre l’ingénierie, parce qu’il savait que les filles avaient moins d'affinité avec la mécanique, mais tant pis. Il était certain que sa fille ferait une très bonne vétérinaire.
Même quand elle lui affirma qu’elle allait un jour construire ses propres voitures.

Dans tous les cas, sa vie continua d’être parfaite. Les androïds avaient enfin posé les pieds dans le monde, et la révolution technologique était en marche. Ainsi, tout allait bien.
Jusqu’au jour où sa femme décida de rompre. C’était il y a deux ans maintenant. Abraham n’avait pas été surpris : cela faisait plusieurs mois qu’ils ne faisaient plus rien au lit, que leur conversation était fade. Sa femme le trouvait trop désagréable, contrôlant et lui avait même fait un discours pour lui dire qu’il ne faisait rien à la maison. Bien sûr qu’il s’était défendu : il changeait les ampoules, faisait les travaux nécessaires, et s’assurait qu’il y ait de quoi manger dans les assiettes, bien plus que sa femme qui elle ne gagnait même pas la moitié de son salaire.
Enfin, tant pis. Cette relation n’avait pas fonctionné, mais il trouverait bien autre chose. Il était encore jeune.

Alors que les androïds étaient devenus monnaie courante, sa monnaie à lui, lui permis d’obtenir un superbe appartement de célibataire - avec androïd de ménage, ainsi qu’un de cuisine et un coach sportif -. Allons, même si Abraham ne voyait plus que sa fille un week-end sur deux, sa vie n’était pas gâchée. Tout le monde lui disait : pauvre Abraham, ne t’en fais pas, tu te relèveras, tu vaut mieux que ça non ? Regarde tout ce que tu as fait pour moi, moi, je sais ce que tu vaut.
C’est vrai. Abraham donnait même à des charités, même si, bon, les pauvres dans la rue, ça gâche un peu la vue, difficile de les regarder, difficile d’en faire grand chose. Et soit disant que les androïds ont volé leur travail… Mais soit, les charités ça pouvaient les aider.

Puis, arriva dans le monde, les déviants. Enfin, en tout cas, de façon plus publique. Une grande nouveauté qui interrogea un peu tout le monde, et l'ingénieur en premier. Que faire ? Son entreprise ne voyait pas ça d’un bon œil, et il pouvait le comprendre. Mais Abraham était certain que ça n’était qu’une erreur. Un virus qui simulait juste l’impression d'émotions. Il en est toujours certain. Le sujet reste fascinant, il a envie d'en savoir plus, d'en rencontrer, de savoir ce qu'il se passe derrière. C’est aussi pour ça que ce soir, il va voir Matthew : ce dernier lui a parlé des chapardeurs, et apparemment grâce à eux, ils pourront bientôt obtenir un corps d’androïd déviant. Histoire de montrer au monde que tout ça n’est qu’une simple méprise. Ou bien de découvrir une prouesse scientifique détonante. De devenir célèbre... Le but ultime.
En attendant, ça n’empêche pas Abraham de regarder ces déviants avec pitié. Les pauvres. Pauvres choses mécaniques se pensant vivantes. Quand ces collègues méprisent cette idée, Abraham, lui, est même prêt à les aider. A leur montrer qu’ils se trompent, que leur programme est cassé, voilà tout, et qu'ils doivent bien en souffrir, que ça va finir par les désactiver à force. Oui, tout comme il veut montrer à sa fille qu'elle se trompe, qu'elle va se faire du mal. A son ex-femme que lui vaut bien plus que se faire abandonner parce "qu'il ne fait rien" - ce qui est faux -. A ses collègues, qu'ils ne perdront pas leur travail parce que l'opinion publique pourrait descendre.
Quel grand homme, cet Abraham, si empathique. Toujours prêt à aider son prochain, et à ne jamais le juger. Tout le monde le dit.

“Moi je suis qu’un homme ordinaire, rien qu’un salaud exemplaire, mes lâchetés, mon indifférence, font de moi un bourreau en puissance.”