everyone must stand alone

feat   @Ethan Blake

Il n’y a que sous le couvert de la nuit que tu te sens suffisamment en sécurité pour pointer le nez dehors. Tendre naïveté qui guide encore tes pas, dont tu ne sauras jamais vraiment te défaire. Tes sorties ne sont pas quotidiennes, loin de là ; car même si la pénombre te donne un (faux) sentiment de sécurité, le courage n’est pas quelque chose qui te vient naturellement ou souvent. La faute à une défaillance de ton programme ou alors à la déviance qui t’est tombée dessus. La faute à ces humains qui t’effraient bien trop, la faute à nul autre que toi pour ton manque de combattivité, cette manie bien trop facile que tu as de courber l’échine face à l’agressivité que tout ce bien triste monde a à offrir. Tu le sais bien, tout au fond de toi, que tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même, mais tu ne sais pas vraiment quoi faire pour sortir de ce cercle vicieux ; tu hais la confrontation plus que tout en ce bas monde, tu ne sais pas quoi répondre aux insultes et encore moins lorsque l’agressivité de certains se transforme en véritable violence. Peur tétanisante qui s’enroule autour de ton châssis alors que les cris et les mouvements fusent, tu ne peux que te replier sur toi-même pour tenter de fuir. Terrible réflexe qu’il t’est impossible de réprimer ; tu ne seras jamais qu’une ombre fuyante dans les scènes trop oppressantes d’un tableau sombre. Tu seras (crains-tu) toujours celle qui ne peut que détourner le regard et se faire toute petite face à l’injustice. Car ce qui t’arrive n’est pas juste, tu en as bien conscience. Néanmoins, tu es bien incapable de te défendre, de montrer les dents et de sortir les griffes ; docilité programmée qui s’est enracinée au plus profond de tout ce que tu es.  

Sous le couvert de la nuit, tu te rends au bar de Merle. Sous le couvert de la nuit et de quelques vestes, dissimulant ta silhouette filiforme comme tu le peux, cachant ta LED toujours si expressive sous une capuche et quelques mèches de cheveux. Tes mains s’enfoncent dans les poches alors que ton regard clair se pose sur la silhouette de l’androïde ; elle est si occupée que tu n’as pas le cœur à interrompre son labeur. Tu l’observes pendant un temps, planquée dans un coin de la pièce, puis c’est sur les clients présents. Des visages t’apparaissent comme plus ou moins familiers ; ce n’est pas la première fois que tu viens, ce n’est pas la première fois que tu observes les clients. Merle est une androïde que tu apprécies (et ce, même si tu as beaucoup de difficultés à l’exprimer (il faut dire que les mots ne te viennent pas facilement)) et qui te tire tout doucement en dehors de la coquille que tu t’es construite. Alors il n’est pas si surprenant que cela que tu recherches sa compagnie. Il est encore moins surprenant de la voir occupée par son travail et que, de ce fait, tu restes dans ton coin. Les minutes s’écoulent, puis tu prends la décision de partir. Tu quittes ton petit coin, tu sors de l’établissement. Et c’est là que les choses dégringolent ; un groupe d’humains qui, encore une fois, jette son dévolu sur toi. On t’attrape par le bras, on te pousse puis on te tire, ta capuche tombe et les insultent pleuvent. Oh ce que tu aimerais avoir la force de résister, de te défendre. Oh ce que tu aimerais ne pas être aussi pathétique.

everyone must stand alone

feat   @Ethan Blake

Des mains humaines, tu n’as jamais connu que la violence. Ce soir-là ne fait pas exception, alors que les ongles se coincent dans le tissu de ta veste, alors que les doigts se referment autour de ton poignet. Tu as connu pire (tu as connu bien pire), mais l’appréhension monte graduellement en toi. Tu fais la sourde oreille alors que les insultes se précipitent sur les langues ; ce n’est rien de nouveau, rien que tu n’as pas déjà entendu. Les humains que tu avais auparavant à charge étaient rarement courtois et ceux qui n’hésitent pas à s’en prendre aux tiens font rarement preuve de retenue, n’hésitent jamais à propager leurs avis nauséabonds. Mâchoire crispée et regard fuyant, tu ne peux que courber l’échine face au petit groupe ; tu es prise au dépourvu, Winnie, tu ne sais jamais comment réagir dans ce genre de situations. Il n’y a que la certitude que tu finiras (encore) sur le carreau. Rouge, rouge, rouge. Le ballet inlassable de ta LED semble les amuser plus qu’autre chose. Mal à l’aise, tu détournes le visage alors que tu es poussée contre un mur, tes mèches sombres chutant sur ton visage pour dissimuler autant les traits que la marque de ce que tu es. Les êtres de chair se moquent, encore et toujours. C’est une voix tonitruante qui vient les interrompre. Tu ne peux réprimer un sursaut. Interloquée, tu restes figée un instant. Puis, lentement, tu tournes ton regard écarquillé vers le nouveau venu. Un visage familier, qui t’a toujours (bien malgré toi) un peu impressionné. Et à raison, semble-t-il, car même en infériorité numérique, l’homme ne se démonte bien et leur tient tête. Pure bravoure ou terrible stupidité, tu ne sais pas trop de quoi il en retourne exactement. Tout ce que tu sais avec certitude, c’est que quelqu’un, pour la première fois de ta bien triste existence, prend ta défense.  

Oh. Oh. Ils te lâchent rapidement suite au mensonge de ton sauveur. Tu n’appartiens à personne, Winnie, mais ça, tes attaquants ne sont pas obligés de le savoir. Si tu avais eu un cœur (un vrai), celui-ci se serait certainement comprimé douloureusement dans ta poitrine. De soulagement, d’une émotion que tu ne peux pas décrire avec de simples mots. Tu n’as encore jamais essayé de mentir, aussi tu ne peux que faire de ton mieux pour jouer le jeu ; le regard rivé sur ton supposé propriétaire, tu te redresses machinalement, avec des gestes aussi raides que réguliers. Tu ignores l’inconfort provoqué par les agissements du petit groupe. Sarah roule sur sa langue avec une aisance déconcertante, l’ordre est aboyé avec un peu moins de virulence. Pas un moment d’hésitation, tu retombes avec bien trop d’aisance dans tes anciennes habitudes (qu’il t’est facile d’être une machine) ; tu n’as pas vraiment le temps de réfléchir, ton corps s’exécute sans la moindre protestation. Tu les contournes sans prononcer un mot, venant prendre place à ses côtés comme si de rien n’était. Tu restes murée dans un silence impénétrable alors qu’il finit de s’occuper des trublions. Tu as la tête ailleurs, Winnie, tu n’es pas vraiment présente alors que ton sauveur finit de les mettre en fuite. Rouge, rouge, rouge.  Un flash de jaune, puis l’accalmie du bleu. Et quand il ne reste plus que vous deux, c’est un regard à la fois méfiant et curieux que tu lui lances. “Merci.” Un murmure à peine audible qui s’élève du silence. Puis, de nouveau, tu redeviens muette. Aucun autre son ne passe la barrière de tes lèvres alors que tu baisses les yeux vers le bout de tes chaussures. Tes mains viennent se dissimuler dans tes poches. Et pour finir, incertitude terrible qui s’abat sur toi, un poids terrible qui te fait courber l’échine.

everyone must stand alone

feat   @Ethan Blake

Incertitude terrible née de l’ignorance fondamentale en matière de contact avec les autres ; si tu as été conçue et manufacturée pour contempler et t’occuper de la misère, il n’a pas été prévu que tu réagisses à tous ces moments entre, tu n’es pas faite pour entretenir les conversations. Un simple mot passe la barrière de tes lèvres, signe de ta reconnaissance envers ton sauveur. Car reconnaissante, tu l’es assurément ; tu commences à les connaitre, ces humains qui te haïssent tant (qui vous haïssent tant (ce qui est objectivement hypocrite, car ce sont eux qui vous ont créés)), et tu sais que ce soir ne se serait pas fini en tragédie. Tu sais que tu n’aurais été que poussée ici et là jusqu’à ce qu’ils viennent à se lasser de ce petit manège. Tu sais à quoi ressemble la véritable violence (celle qui te laisse avec un plastique cassé et pas assez de thirium dans tes veines artificielles) et il ne s’agissait pas de ça ce soir. Il manquait une certaine intensité, ils n’étaient pas si agressifs que ça ; s’ils n’avaient pas les meilleures intentions, ils n’étaient pas non les montres que tu redoutes tant. Terreur terrible qui t’a poussée à dévier du chemin qui avait été tracé pour toi, peur qui te paralyse toujours bien malgré toi. Tu aimerais pouvoir dire que tu n’es pas aussi pathétique que ça, mais ce serait mentir. Tu crains les humains, tu sais de quoi ils sont capables. Et maintenant que tes chaines sont brisées, tu ne sais pas comment co-exister dans ce monde qui leur appartient, dans ce monde qui n’est clairement pas fait pour ceux qui sortent des cases.

C’est pour cette raison que tu as du mal à comprendre les agissements de ton sauveur. Il a un air ... bourru, un air inaccessible qui t’impressionne bien plus que ce que tu peux laisser paraitre. Les traits de son visage sont tirés en une grimace coléreuse, une tempête se prépare dans son regard sombre. Son attitude toujours aussi abrasive, il chasse ton remerciement avec une certaine désinvolture. Son injure, cependant, est ce qui retient ton attention. Putain d’humains. Crachat viscéral qui s’échappe d’entre ses lippes alors que tu l’observes d’un œil curieux. Jaune, jaune, jaune. Ne fait-il pas partie de ce groupe qui semble tant le répugner ? As-tu fait fausse route ? Il faut dire que maintenant que la manie d’arracher les LED qu’ont les androïdes libres est assez déroutante, complique les choses pour vous différencier de ceux qui vous haïssent. Jaune, jaune, bleu. Quelques mots de plus et le voilà qui se met en mouvement, tu n’as pas le temps de réfléchir à tout cela plus longtemps. Tu ne protestes pas alors qu’il te dit qu’il va te raccompagner sur un bout du chemin, tu trouves un certain réconfort dans cette affirmation butée qu’il formule. Tu fais un pas, puis deux. “Je dois aller dans la direction opposée.” Tu l’informes bien simplement, sans le moindre jugement. Tu fais ensuite quelques pas dans la bonne direction. À sa question, tu secoues doucement la tête. “Non, pas Sarah, en effet.” Ta voix est toujours aussi légère, à peine audible par moment. “Tout le monde m’appelle Winnie.” Un moment de silence. “Et toi ?” que tu lui demandes ensuite, laissant ta curiosité prendre le dessus l’espace de quelques secondes. Tu as envie de lui poser plusieurs questions, alors que tu l’observes sans la moindre discrétion, mais tu les ravales les unes après les autres. Tu ne sais pas si ton interlocuteur se montrera plus patient avec toi.

everyone must stand alone

feat   @Ethan Blake

Ethan, c’est ainsi qu’il se prénomme, ton sauveur. Un prénom comme un autre, un prénom comme il en existe tant d’autres. Un prénom qui, tu trouves, contraste terriblement avec l’air renfrogné de l’autre androïde. Tu ne sais pas trop pourquoi tu as cette distincte impression, car il lui faut bien un prénom à lui aussi ; qu’il s’appelle Ethan ou d’une autre manière, cela t’importe bien peu dans le fond. Est-ce donc ce dont est fait le libre arbitre ? D’impressions et de sensations sans fondement ? Si oui, tu ne sais pas trop quoi en penser. Que d’informations superflues qui ne servent à rien, dont tu ne sais que faire. Aurais-tu été faite de chair et d’os, tu aurais certainement poussé un bien lourd soupir. Toutefois il n’en est rien, tu n’es qu’une machine à la mécanique bien huilée et aucun souffle pesant ne passe la barrière de tes lippes. Ton interlocuteur est aussi peu bavard que toi, aussi les silences entre vos paroles ont la fâcheuse tendance à s’étendre sans que vous ne puissiez rien y faire. Si les humains peuvent trouver cela dérangeant dans bon nombre de situations, tu ne t’en formalises pas. Il n’est pas obligé de parler, tu n’es pas obligée de parler et c’est très bien ainsi ; vous êtes libres de faire comme bon vous semble, vous étant défaits de ces concepts humains qui n’ont ni queue, ni tête. Vous vous mettez en marche, tu restes silencieuse jusqu’à ce qu’il prenne la parole, te demandant l’origine de ton prénom, si tu es à l’origine de celui-ci. Pendant un temps, tu ne sais pas trop quoi lui répondre, tu prends le temps de réfléchir avant de lui faire part de ton raisonnement. Tant et si bien qu’il peut aisément formuler une autre question avant que tu puisses répondre à la première.

Les mots te font souvent défaut, Winnie, ce n’est pas la première fois que cela t’arrive et ce ne sera certainement pas la dernière. Et si tu as été créée de prime abord pour contempler la misère humaine, l’humain à son pire, il n’a pas été prévu que tu sois celle qui réconforte ou qui, tout simplement, communique. Tes silences sont souvent trop nombreux, trop intense. Tu as, parfois, toutes les peines du monde à t’en sortir, à les briser. Ce n’est pas le cas avec Ethan ; tu trouves en sa compagnie un certain réconfort. Tu ne le connais pas, il ne te connait pas et pourtant cela ne l’a pas empêché de voler à ton secours sans la moindre hésitation. Et cela doit bien vouloir dire quelque chose. Tu ne sais pas encore ce que cela peut dire, mais tu es certaine que tu comprendras plus tard, lorsque tu repenseras à cette drôle de rencontre. “J’ai pas choisi grand-chose.” que tu finis par lui dire en secouant la tête à la négative. “C’est juste comme ça que tout le monde m’appelle depuis que ...” Depuis que quoi, exactement ? Tu ne parviens pas à trouver les bons mots, encore une fois. “Avant, j’étais Winona.” Haussement d’épaules nonchalant. “Maintenant, c’est Winnie. J’aime bien. C’est toujours mieux que Winona.” Tu t’autorises une brève pause, n’ayant pas l’habitude de tant parler d’une traite. Ton silence est une couverture réconfortante dans laquelle tu aimes bien trop t’enrouler. “Depuis quelques semaines, je crois. Ça ne fait pas bien longtemps. Et toi ?” Tu ne peux que retourner cette curiosité vers ton sauveur. Tu n’es pas très douée pour parler, que ce soit de toi ou toute autre chose. Tu préfères de loin l’écouter parler, que ce soit de lui ou, encore une fois, toute autre chose.  

everyone must stand alone

feat   @Ethan Blake

Et peut-être bien qu’il est programmé pour n’être qu’un con (ses mots, pas les tiens), mais tu n’y croies pas véritablement. Il y a comme un (énorme) fossé entre ce qu’il dit et ce qu’il fait, il y a comme un écart entre ce qu’il pense être et ce qu’il est en réalité. Tu peux le voir alors que tu ne le connais, parce que tu es sacrément observatrice, Winnie, et parce que Ethan ressemble sacrément aux humains dont tu devais t’occuper avant ; avec ses lèvres pincées en une moue perpétuellement mécontente, son regard dur et les traits artificiels de son visage tordus en une mine furieuse. Il est aussi bavard que les parents indignes, aussi sur la défensive que tous ces humains qui ont quelque chose à se reprocher. Tu l’observes du coin de l’œil alors que vous continuez de marcher en direction du Refuge. La familiarité te frappe alors ; tu connais ce genre de tempérament, tu as littéralement été programmée pour affronter ce genre de situations. Car tu as bien l’impression qu’il s’agit là d’une situation plus qu’une conversation ; plus tu parles avec l’autre androïde, plus tu te rends compte qu’il faut que tu sois sur tes gardes. Tu crains que le moindre mot malheureux ne déclenche sa colère. Comme les humains ont pu le faire en s’en prenant à toi. Avec les humains, tu sais comment te comporter ; tu te fais aussi petite que possible dans l’espoir que leur attention ne s’arrête pas sur toi.  Avant, tu jouais le rôle de la parfaite machine, de la machine qui se fond dans le décor, de la machine qui obtempère sans prononcer un mot. Avec Ethan, les choses ne sont pas si claires. Les frontières à ne pas franchir te sont inconnues, tu ne sais pas sur quel pied danser avec lui. Jaune, rouge, jaune, bleu, ainsi va la danse de cette LED qu’il mentionne avec une désinvolture certaine.

Silence qui se prolonge, dans lequel tu te plonges avec la force de l’habitude. Regard en coin que tu lui adresses alors que tu ravales péniblement le si tu le dis qui te brûle le bout de la langue. Il est vrai que tu n’as pas retiré cette LED qui t’identifie comme manufacturée dans une usine, en contraste avec l’humanité pourtant si brillamment imitée. Du bout des doigts, tu viens tapoter le marqueur de ta différence. Jaune, jaune, bleu. Quelques petits tapotements réguliers avant que ton bras ne retombe le long de ton corps. “Et toi, t’as pas de LED.” te permets-tu de lui faire remarquer, en opposition à sa docilité proclamée. Il te parle d’un propriétaire, mais se comporte comme s’il était libre. Façade qu’il se doit de protéger ou délusion dont il s’est persuadé, tu n’en sais trop rien. Et dans le fond, cela ne te regarde pas vraiment. Peut-être qu’il t’aboiera encore un peu dessus, peut-être pas. Ça importe peu ; Ethan n’a pas l’air de mordre trop. Haussement d’épaules nonchalant, tes pensées se tournent vers cette LED qui te hante autant qu’elle te rassure. Qui serais-tu sans elle ? Es-tu condamnée à devoir altérer ton apparence physique pour te fondre dans la masse ? Et ce, même si tu n’en as pas envie ? Tu hésites un instant. “Est-ce que ça fait mal ? De la retirer ?” Tu ne sais pas trop comment t’y prendre, tu redoutes un peu de passer à l’acte. Tu es certaine que tu trouveras rapidement quelqu’un pour t’aider au Refuge, si le besoin et l’envie s’en font ressentir (tu penses tout de suite à Jin), mais tu appréhendes la sensation de douleur. Depuis que tu t’es éveillée, tu as remarqué bon nombre de ... bugs dans ton programme, notamment cette peur illogique de la douleur. Douleur que tu n’es pas censée ressentir. Tu le sais, mais c’est plus fort que toi, tu ne peux pas t’empêcher d’appréhender.